Just Eat - prud’hommes mode d’emploi : comment préparer mon dossier ?
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- Le 28 août 2023 à 15:59
- par Tomy
Après un lancement en fanfare fin 2020, finalement Just Eat, c’était « petit tour et puis s’en va ».
Les salariés dans les 26 villes fermées début 2023 sont donc sur le carreau, et la direction espérait probablement s’en tirer à bon compte.
C’est sans compter sur la détermination de la CGT a faire obtenir à chaque salarié le paiement de tout ce qui lui est dû. En effet, Just Eat s’est assis sur énormément de ses obligations légales et conventionnelles.
Les lignes qui suivent ont pour objectif de vous guider dans la préparation de votre dossier prud’hommes afin de maximiser le travail de notre avocat.
1. La juridiction :
Les contentieux individuels du travail sont jugés, en France, par les Conseils de prud’hommes. C’est une juridiction dite mixte et paritaire : les juges n’y sont pas des magistrats professionnels, ce sont des représentants d’organisations syndicales patronales et de salariés. Au nombre de quatre par audience, deux du collège salarié, et deux du collège patronal, ils tranchent les litiges qui leurs sont soumis.
2. Une audience aux prud’hommes :
Les conseillers prud’hommes n’ont strictement aucune connaissance de votre dossier individuel lorsqu’il est plaidé : ils le découvrent. Votre dossier n’est pas le seul à être plaidé ce jour là, et en pratique, le jugement sera rendu plusieurs mois après l’audience.
Dans ces conditions, les débats ne peuvent pas demeurer strictement oraux : il faut une trace écrite de vos demandes, de vos arguments, et des preuves sur lesquelles ces demandes s’appuient : ce sont les conclusions.
3. Les conclusions :
Toute bonne argumentation possède une certaine structure, qui répond à deux éléments : quels sont les faits et prétentions que vous présentez, et quelles conclusions vous souhaitez que le lecteur en tire.
C’est là que les « conclusions » entrent en jeu : c’est un document écrit, par lequel vous convaincrez la juridiction que vos demandes sont fondées, et qu’il faut vous donner gain de cause.
Les conclusions juridiques possèdent trois grandes parties et une annexe :
1 - Faits et procédure
2 - Discussion
3 - Dispositif (ou Par ces motifs)
- L’annexe : le bordereau et les pièces justificatives
A. Faits et procédure :
Etant donné que la juridiction ne sait absolument rien du contentieux qui vous oppose à votre ancien employeur, les Faits et procédure sont l’occasion d’une introduction :
Monsieur X a été embauché à telle date par l’entreprise Y, en qualité de coursier en contrat à durée indéterminée, coefficient 115M, suivant stipulations de la convention collective nationale transports routiers et activités auxiliaires du transport, affecté sur le site de Toulouse. Il percevait une rémunération de … en contrepartie de son travail. […]
Le 4 janvier 2023, Monsieur X a eu un accident du travail. Il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 28 février.
Le 2 février 2023, la société a notifié son licenciement économique à Monsieur X.
Par ailleurs, durant toute la période de travail, le salarié n’a jamais perçu les primes et majorations conventionnelles stipulées dans l’accord de branche. […].
C’est dans ces conditions qu’il a saisi le conseil de prud’hommes de céans aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes.
B. Discussion :
La Discussion est le corps même des conclusions. Ici, l’ensemble des demandes seront articulées autour d’un plan cohérent, qui contribuera à convaincre la juridiction que vos demandes sont fondées tant en droit qu’en faits, et qu’il convient donc de condamner la société à vous verser les sommes dues.
Par exemple :
1/ Sur les conditions du licenciement :
LE DROIT : le salarié en arrêt de travail consécutif à un accident du travail ne peut être licencié durant toute la durée de son arrêt de travail.
LES FAITS : Monsieur X a eu un accident du travail le 4 janvier 2023. Il a été placé en arrêt jusqu’au 28 février 2023. Les 2 février, la société lui a notifié son licenciement, alors-même qu’il était encore en arrêt de travail imputable à l’accident survenu le 4 janvier 2023.
EN CONSEQUENCE : le licenciement de Monsieur X doit s'analyser comme un licenciement nul.
La société sera donc condamnée au paiement d’une indemnité de X mois de salaire soit X euros.
2/ Majorations et primes conventionnelles :
a. Heures de nuit
LE DROIT : La CCN transports routiers stipule une majoration des heures de nuit effectuées au-delà de 21 heures.
LES FAITS : Le Conseil ne peut que constater que les bulletins de salaire ne font apparaître aucune heure de nuit majorée.
EN CONSEQUENCE : la société est débitrice d’heures de nuit majorées à concurrence de X heures.
La société sera donc condamnée au paiement de X euros.
b. Paniers repas :
LE DROIT : la CCN transports routiers stipule que les personnels ouvriers roulants qui travaillent entre 11h45 et 14h15, et entre 18h45 et 21h15, ont droit au paiement d’indemnités de paniers ; qu’à la date d’exécution du contrat, le montant de chaque panier est fixé à XX,XX euros ;
LES FAITS : les plannings de travail de M. X font apparaître des shifts (quarts de travail) correspondant aux horaires sur lesquels des paniers repas sont dus. Les bulletins de salaire de M. X ne comportent pourtant le paiement d’aucun panier repas.
EN CONSEQUENCE : la société est débitrice d’indemnités de paniers à concurrence de X euros.
c. Majorations du dimanche :
...
A ce stade, de bonnes conclusions doivent avoir convaincu vos lecteurs, (vos juges !), que vous avez raison autant dans le droit, (les dispositions applicables), que dans son application, (les faits sont établis et l'application du droit à ces faits implique que la société vous devait de l'argent).
C. Dispositif (Par ces motifs) :
Le dispositif des conclusions contiennent le rappel de l’ensemble des demandes formulées dans la Discussion.
D. Le bordereau :
Le « Bordereau des pièces justificatives » vient lister l’ensemble des pièces justificatives venant à l’appui de vos demandes.
Par exemple : nous avons vu que le salarié a rappelé que le paiement des paniers repas est dû au vu des plannings, et que la société n’a pas payé les paniers repas comme en attestent les bulletins de salaire.
Il faudra donc produire, comme pièces justificatives :
- les plannings de travail, (qui montrent des shifts sur les heures ou des paniers repas sont dus),
- et les bulletins de salaire, (qui montrent que les paniers repas dus n’ont pas été payés) : ainsi vous démontrez que la société vous devait tel montant, et qu’elle ne l’a pas payé.
Ces pièces justificatives, appelées de « pièces », sont numérotées (pièce 1, pièce 2, …), et énumérées au bordereau :
Pièce 1 : plannings de travail
Pièce 2 : bulletins de salaire
…
4. La préparation du dossier :
Bien entendu, le raisonnement, l’articulation des demandes et leur mise en forme ne relèvent pas du salarié. Cela relève de l’avocat qui va se charger de formuler les demandes, et de rédiger les conclusions. Cependant, l’avocat ne peut pas le faire seul : il lui faut les éléments que seul vous, salariés, pouvez fournir.
C’est pour cette raison que vous devez rassembler des éléments. Dans le cas des salariés de Just Eat France, il existe un « tronc commun » d’éléments, car certaines demandes seront les mêmes pour tous les salariés.
Ces éléments seront indispensables afin que l’avocat puisse justifier ses demandes.
Vous devez donc exiger de la société qu’elle vous communique vos « données personnelles » : voir Obtenir ses données personnelles auprès Just Eat
Pour ce qui concerne les plannings de travail, si vous avez conservé vos emails depuis le début, vous avez une trace de vos plannings de la première à la dernière semaine de travail.
Ce ne sera cependant pas suffisant dans la mesure ou l’avocat aura probablement besoin de calculer, en plus de cela, vos temps de trajet, d’examiner l’historique du chat avec les LiveOPS, …
Vous devez donc exercer votre droit d’accès à vos données personnelles.
Ensuite, les premiers calculs :
Vous devrez reprendre chaque planning de travail, puis noter sur une feuille séparée :
- pour les paniers repas : chaque shift qui englobait entièrement la période de 11h45 à 14h15 et de 18h45 à 21h15
- pour les majorations du dimanche : chaque shift programmé le dimanche
- pour les majorations d'heures de nuit : chaque heure travaillée après 21 heures.
Comment s'y prendre ?
En consultant vos plannings envoyés par email.
Exemple de calcul sur un planning communiqué par email :
A partir de ces chiffres, l'avocat pourra calculer ce qui vous est dû.
Par exemple, ici il y a :
- 2 paniers repas (les shifts du 17/11 et du 18/11) : 13.92 x 2 = 27.84
- 1 majoration du dimanche (le 21/11) : 24.20 EUR (si plus de 3 heures) = 24.20 EUR
- Il y a également 5h30 après 21 heures, (17/11, 21h-23h, 18/11, 21h-22h, 20/11, 21h-23h, et 21/11, 21h-21h30), à majorer de 20%.
Ce calcul est à faire sur chaque semaine.
ATTENTION : certains salariés auront des demandes spécifiques qui concernent leur dossier en particulier.
Et du courage !
Pour beaucoup de coursiers, plus passionnés de vélo que de chicane, cela peut sembler chronophage. Mais au bout, il y a la victoire : Just Eat n'a rien respecté et vous doit de l'argent, il est temps de faire valoir vos droits.